Journal d’une agente de service aux citoyens : Hello, Bonjour! Comment puis-je vous aider?

(Photo: Josée Lebrun - ASC, Marie-Joelle Lachance-étudiant, Benjamin Lauzon-ASC, Lorraine Potvin,-ASC, Lorraine Boyce-ASC et Julie Girard from du service des passeports)

En me réveillant après une bonne nuit de sommeil, je me dis que ce sera une bonne journée.

Bien dormir, quel bonheur.

Après plus d’une semaine à servir les gens au bureau de Service Canada, cette nuit de sommeil n’était pas un luxe, c’est le moins qu’on puisse dire.

Nous sommes le samedi 21 mars 2020. Je vais essayer de vous décrire ce qu’on vit en première ligne. Cette crise mondiale sans précédent commence à frapper tout le monde de plein fouet.

Mon poste et celui de mes collègues sont considérés comme des postes critiques puisqu’on sert la population. On s’occupe des prestations d’assurance emploi, des pensions, des numéros d’assurance sociale et d’autres programmes qui versent des prestations aux citoyens. Par conséquent, en cette période de pandémie, vous pouvez sans doute vous imaginer que depuis le 12 mars, nos conditions de travail ont complètement changé. Les bureaux sont de plus en plus achalandés et les gens ont peur, sont anxieux et s’attendent à ce qu’on les aide. On fait tout ce qu’on peut pour ne pas les décevoir.

 

Au début de la crise, à la fin février, je parle à l’employeur de la nécessité d’avoir de l’équipement de protection, comme des gants, du désinfectant liquide et des lingettes pour décontaminer les surfaces de l’aire de libre-service. Je ne suis pas prise au sérieux. On n’a même pas ce qu’il faut pour offrir une protection élémentaire contre les infections et pour réduire les risques. Une collègue se procure ses propres fournitures. Je comprends pourquoi, mais à mon avis, c’est l’employeur qui doit s’en charger. Ça me pousse à insister pour qu’il nous fournisse le matériel nécessaire.

C’est le 13 mars, quand on apprend que le gouvernement prend des mesures pour fermer les commerces, qu’on prend réellement conscience de la gravité de la situation.

Puisque les agents de service aux citoyens traitent directement avec le public, on a tous peur et on est très inquiets pour notre sécurité. L’employeur a déjà renvoyé chez eux des collègues dont l’état de santé les rend vulnérables au coronavirus. D’autres ont de jeunes enfants, mais personne pour s’en occuper. D’autres encore refusent tout simplement de travailler. Seulement cinq des neuf agents sont sur place.

On a dû attendre au 18 mars avant de recevoir une partie du matériel de protection de base qu’on avait demandé. Pour ça, il a fallu plusieurs réunions avec l’employeur et bien des courriels.

Au début de la crise, on sentait tous que l’employeur s’en foutait un peu ou qu’il ne saisissait pas l’urgence de la situation.

Ce que l’employeur fait maintenant, comparé à ce qui se passait avant le 13 mars, c’est comme le jour et la nuit! On se sent appuyés par nos superviseurs et notre directeur, qui s’adonne à travailler dans notre bureau.

Ce qui nous arrive ne nous est jamais arrivé. On est obligés, en tant qu’employés, de s’adapter constamment au changement, en essayant de continuer notre travail dans l’environnement le plus sécuritaire possible. On évalue la situation tous les jours pour se protéger alors que l’on continue à servir les gens.

Nos nouveaux protocoles prévoient des mesures de protection du personnel et du public. On procède à un triage à la porte pour vérifier si les clients ont des symptômes de la COVID-19 et s’ils reviennent de voyage. On doit composer avec l’intense frustration de clients qui ont eu de la difficulté à faire une demande d’assurance emploi ou à joindre le centre d’appels. Bien des gens n’ont jamais fait une demande de prestations d’AE et ne savent pas comment s’y prendre. D’autres clients ne sont pas admissibles à l’AE et ne savent pas où trouver de l’aide.

On sent que les clients sont paniqués et ont peur. Des gens normalement aimables le sont beaucoup moins.

On comprend ça. Mais nous aussi, on a des limites. Donc, notre équipe d’agents de service aux citoyens se serre les coudes. On s’entraide, on se parle, on rit ensemble, on pleure parfois et on se consulte. On peut maintenant compter sur le soutien de l’employeur qui voit à quel point nos journées sont difficiles.                                                                                                  

À cause d’une réévaluation des services critiques, on ne recevra presque plus de clients dans nos bureaux.

Je ne sais pas trop comment les gens réagiront à cette réduction des services en personne. Ça nous inquiète un peu et on a demandé la présence d’un gardien de sécurité au cas où les choses tourneraient mal, tout en espérant que ça n’arrive pas.

On craint que le pire soit à venir. Combien de temps faudra-t-il pour traiter les 500 000 demandes d’AE qu’on a reçues en moins d’une semaine? Et c’est sans compter celles qui étaient en traitement avant la pandémie. Tout le monde se pose les mêmes questions : « Quand vais-je avoir mon argent? » « Combien de temps ça va prendre? » « Comment vais-je pouvoir payer mes factures? »

On aimerait pouvoir leur donner une réponse définitive, mais c’est impossible.

Alors, qu’est-ce qui pourrait nous aider? En ce moment, je ne sais pas vraiment.

Depuis le début de cette épreuve, j’ai parlé de ce qui m’arrive à mes confrères, consœurs et amis. Je vous suis reconnaissante de votre soutien. Il nous aide, moi et mes collègues, à reprendre le dessus lorsqu’on se sent plus vulnérables. Encore une fois merci pour votre sollicitude et votre solidarité.

 

Votre consœur et amie,

Lorraine Boyce

Section locale 10452